Les profs ne sont pas armés intellectuellement pour suivre notre vie technicisée, ils n’ont actuellement aucune critique là-dessus. Il faut donc repenser en totalité l’Université. Il faut surtout comprendre que le numérique est en train de faire exploser ce qui est à la base de l’Université du XIXe siècle. Il faut repenser tout cela. En totalité. En fait, l’informatique est absolument partout, et on n’enseigne pas ça à l’école. On ne l’a pas même enseigné aux profs. Alors ils ne sont pas intellectuellement armés pour faire face à une génération bardée de smart phones, de caméras, de transformateurs. Il n’y a aucune réflexion sur ces changements, ni en France ni en Europe.
Citations
Bref, procédez sur Internet comme vous le feriez dans une bibliothèque : sélectionnez vos sources en fonction de leur fiabilité et de leur pertinence. Auriez-vous l’idée, en bibliothèque, d’aller chercher la définition d’un terme littéraire dans Elle, sous prétexte que la collection complète de l’hebdomadaire est plus près de l’entrée que les dictionnaires spécialisés ?
Quand quelqu’un, jeune ou vieux, vous dit qu’il a eu la chance d’avoir un professeur qui l’a marqué, on peut être sûr que ce professeur était amoureux de la littérature, des sciences, d’une idée, et qu’il a communiqué son amour à ses élèves par osmose. Un enseignement sans chaleur, réduit à l’analyse et à l’exégèse, ne produit pas des lecteurs pour qui la lecture et la vie intellectuelle sont une passion de tous les jours.
L’autre jour, dans une très grande librairie, j’ai vu arriver deux adolescentes d’une quinzaine d’années, qui paraissaient aussi excitées que si elles se rendaient à une fête. Mais en voyant tous ces rayonnages couverts de livres, elles prirent soudain une expression inquiète et se serrèrent l’une contre l’autre en regardant à la ronde d’un air stupéfait. Voyant qu’elles allaient s’enfuir, je m’avançai vers elles et leur demandai si elles avaient besoin d’aide. Elles déclarèrent qu’elles cherchaient un livre. Quel livre ? Eh bien… elles n’en savaient rien. Leur professeur leur avait dit qu’elles devaient lire des livres et passer moins de temps devant la télévision. Elles n’imaginaient pas qu’il existait tant de livres. Non, il n’y en avait pas chez elles, leurs parents ne lisaient pas. Je vis alors ce qu’elles voyaient, un espace aussi vaste qu’un entrepôt et rempli de milliers de livres, dont chacun était un monde inconnu, un défi, un mystère. Je les accompagnai donc de rayon en rayon en leur expliquant qu’ils étaient classés par genre : romans, biographies (ouvrages retraçant la vie d’une personne), autobiographie (ouvrages retraçant la vie de leur auteur), animaux, voyages, sciences etc. Elles sortirent avec une demi-douzaine de livres, et j’espère qu’elles sont retournées plus tard dans une librairie.
Je crois que les gens travaillant avec des livres ou élevés dans une famille où leur présence allait de soi ne peuvent imaginer la confusion, l’effarement, le découragement qui s’empare nécessairement de jeunes gens auxquels on recommande de lire alors qu’ils n’ont ni parents ni amis plus âgés pour les conseiller.
Le temps est une excuse. Je me suis souvenu de ceci : le manque de temps, c’est l’excuse d’une absence de priorités, et celle de ceux qui ne veulent pas choisir.
Quant à moi, je maintiens la position exprimée depuis plus de dix ans.
À savoir que ce qui importe, c’est le texte, et non le livre.Qu’en effet, le support a une influence sur le texte, autant pour la production littéraire que pour la lecture, mais que c’est un effet de transition (faut-il rappeler tous ces débats sur l’écriture à la plume, au stylo ou à la machine à écrire tout au long du 20e siècle ?…)
Que la question du support est négligeable en regard de celle du génie des auteurs (quand il est là).
Je vois aujourd’hui le blog un peu comme la prise d’indépendance de tout bibliothécaire adolescent, plein d’idéaux et bien vite rattrapé par le train-train, la pesanteur du système et de la profession… Bref.
Et muni de cet ensemble d’éléments, à chaque fois que vous entrerez dans une bibliothèque, vous comprendrez que vous entrez dans un endroit pas tout à fait comme les autres. Dans un endroit finalement beaucoup plus « politique » que n’importe quel autre endroit. Dans un endroit où derrière les livres se joue aussi la possibilité pour une société de créer du lien, de construire des représentations communes ; ou bien d’en supprimer. Chaque fois que vous vous préparerez à travailler en bibliothèque, vous devrez vous souvenir que vous n’êtes pas seulement là pour faire de l’indexation et du catalogage (vous en ferez heureusement de moins en moins), mais qu’il est en revanche indispensable que vous deveniez le professionnel qui va permettre de faire émerger, “dans le calme, des documents que les autres médias détruisent ou noient dans le renouvellement insatiable de leur production” . Pour les faire émerger, pour les choisir, pour les retenir, et puis pour les offrir.
L’utilisation des catalogues est très efficace, cependant elle ne peut pas remplacer une recherche à la bibliothèque. Aller dans les rayonnages permet parfois de trouver des livres que l’on aurait manqués si l’on s’était contenté d’une recherche sur le Net. Les auteurs utilisent parfois des titres auxquels on n’aurait pas pensé en cherchant par mots clés. Observer le classement choisi par les bibliothécaires peut alors être très précieux.
Tout ce que l’on peut faire aujourd’hui, c’est repérer des possibles, en sachant que notre imagination est sûrement plus bornée que l’inventivité des techniques.