« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice. »
Lorsqu’un de nos supports de lecture, qu’il soit de pierre ou de papier, change sous nos yeux, nous avons peur. Peur, parce que nous craignons de ne pas avoir la même capacité à déchiffrer ce qui s’y substituera. Cette inquiétude de Frollo dans Notre-Dame de Paris a parfois été la mienne lorsque je me trouvais en Nouvelle-Calédonie. En brousse, sur les terres kanak, il n’y a pas de pierre. Quoique nous pensions lire désormais uniquement sur papier, nous lisons encore beaucoup sur la pierre. Qu’elle vous manque et l’on s’en rend compte. Je me souviens m’être souvent demandée comment lire l’histoire de cette île quand la pierre n’était pas là pour me la raconter. Les Kanak, eux, ne se posent pas la question. Ils lisent l’histoire de leur pays dans la nature : la végétation témoigne du temps qui passe et garde trace des aléas du climat. On peut la charger de sacré, comme on le fait par exemple avec les ignames. Même chose pour la terre qui porte les marques de l’histoire de l’homme ; dans l’Hexagone, on remarque encore dans mes montagnes les marques des cultures en terrasse, vestiges herbus de l’agriculture extensive.
Pour savoir lire finalement, il faut avoir appris. Appris à regarder des arbres centenaires ou à déceler les rides sur le flanc abrupt d’un sommet pyrénéen. Autant d’alphabets aussi évidents pour ceux qui les maîtrisent, aussi incompréhensibles aux autres.
Claude Lorrain (1604/1605–1682) [Domaine public], via Wikimedia Commons |
« Nous attachons nos regards sur les débris d’un arc de triomphe, d’un portique, d’une pyramide, d’un temple, d’un palais, et nous revenons sur nous-mêmes. Nous anticipons sur les ravages du temps, et notre imagination disperse sur la terre les édifices mêmes que nous habitons. A l’instant, la solitude et le silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une génération qui n’est plus ; et voilà la première ligne de la poétique des ruines. »
« Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste ; il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. »
Ceci ne tuera pas cela : c’est précisément une des conclusions à laquelle arrive Régis Debray dans ses cours de médiologie, en partant évidemment du même Hugo.
On suppose que vous l’avez lu, bien sûr 🙂
Ce billet est né d’un agacement et j’ai pris les chemins de traverse sans revenir aux théoriciens mais vous avez tout à fait raison !
Et pourquoi ne pas prendre des chemins de traverses, métro ou autoroutes avec dans son sac ou sa poche : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus? de Bayard, P. Ed. de Minuit.
Vous avez bien de la chance de pouvoir aller à toutes ces conférences.
Lisons, lisez pour vous, ils, elles écrivent : )
Celui-là, je l’ai lu mais je n’en ai pas parlé 😉