Que dire de cet Incendie du Hilton quand tout – ou presque – a déjà été bloggué, twitté depuis longtemps ? On peut, comme je l’ai fait, se mettre l’eau à la bouche avec ces quelques passages sélectionnés par Lignes de fuite, avant d’aller découvrir la lecture singulière que fait Jean-Claude Bourdais de ce roman. Et pour ma part, qu’ajouter à leurs voix comme impression de lecture ? On a parlé ça et là de roman flaubertien, de livre sur rien. On y trouve aussi, selon moi, du Simenon dans cette façon de planter une ambiance, de faire sentir la lourdeur de l’attente nocturne sans pourtant charger le récit de longues descriptions. Il y a dans le Tim Hortons de François Bon quelque chose de ces drugstores décrits dans les romans américains du père de Maigret. Ce que l’on a moins dit, c’est la présence de cet hôtel, labyrinthique et obsédant jusque dans son absence même. Quand on se prend à regarder des images du bâtiment, on comprend que ce monstre de béton puisse donner matière à un livre comme, en son temps, un édifice de pierre s’était imposé à Hugo. L’hôtel retient ses clients, les conserve jalousement en son sein. Petite immensité dans celle de la grande ville, il leur offre une autarcie aussi maternante qu’étouffante. L’incendie fera des évacués des orphelins du lieu, abandonnés à l’attente.
« Combien de temps chacun passe dans sa vie à ne rien faire qu’attendre ? » Il est un vieil adage océanien qui dit : « Vous, les Occidentaux, vous avez l’heure mais nous, nous avons le temps ». C’est précisément parce que nous sommes minutés que nous avons perdu l’habitude de prendre et de perdre du – bon – temps. Dès la première alerte de l’incendie du Hilton, le radio-réveil, la montre sont là pour signifier le temps gaspillé. Plus que l’angoisse du feu, c’est l’imprévu de l’attente qui pèse. Pourtant, c’est elle, pause obligée dans un emploi du temps compté, vide incongru dans le rythme hôtelier des femmes de chambre et des réceptionnistes, c’est elle, cette attente, qui donne matière à ce beau livre.
Photo Ulrich Thumult