Contrainte par la demande générale dûment exprimée par gazouillis avant les vêpres, voici donc un compte-rendu de la lecture de l’Oulipo, qui a eu lieu ce soir, à la BnF.
J’ai bien conscience que ce n’est pas ce type de billet qui me ramènera au billet sérieux, à la note professionnelle que vous attendez tous, dont vous allez jusqu’à vous enquérir parfois. Qu’on se rassure, j’ai des notes au germoir, elles ne devraient pas tarder, seulement avec cette neige, que voulez-vous mes bons lecteurs, les jeunes pousses ont froid et tardent à être aptes à la publication. Bref, arrêtons les considérations « météorobloguesques » (oui, j’adore inventer des mots, fussent-ils des barbarismes) et revenons au sujet de ce billet, la soirée oulipienne de ce jeudi.
Cependant, avant de commencer un tel récit, il me faut revenir sur les péripéties qui se sont produites avant mon avachissement dans le fauteuil 3-3-G de velours rouge. Réveillée par miracle une demi-heure avant le début de la lecture, je suis partie en retard comme il se doit. J’ai commencé à marcher d’un bon pas quand zioup ! j’ai ralenti. Neige, verglas, autant de choses qu’une sieste m’avaient fait oublier et qui, pourtant, s’accrochaient avec ténacité et avec l’aide de la température négative (zeugme, je reparlerai des zeugmes), précieux adjuvants pour eux. Alors que je descendais la rue ***, en prenant bien garde à arriver en bas sur mes deux pieds, la crainte du parvis de la BnF commençait à me saisir.
Connaissez-vous le parvis de la BnF par temps moche ? Qui ne l’a jamais traversé ces jours-là n’a pas conscience que l’on peut aussi pratiquer l’aquaplanning rien qu’avec ses deux pieds, sans voiture, juste en prenant la latte de bois dans le bon sens de l’humidité. Il s’agit peut-être d’un nouveau loisir propre, une sorte de nouvelle action sans voiture, « vous aussi, faites de l’aquaplanning sans polluer à Tolbiac, vue imprenable et bourrasques garanties ». Mais je m’égare, quoique pas tant que ça, puisque de mon logis nous sommes déjà sur le parvis, soit tout près du but.
C’était sans compter avec la vision apocalyptique qui s’offrit à moi quand je débouchais entre les tours, contournant le Mk2. Gelé, complètement gelé. Un malheureux petit chemin avait été dégagé, encore fallait-il le rejoindre. Me revint alors le souvenir d’une réunion par un temps similaire où j’avais cru ne jamais arriver pour cause de chaussures de ville. Courage, me dis-je, tu es munie cette fois de souliers confortables et plats, tu vaincras. Zioup ! Tant bien que zioup !, je rejoins le chemin dûment dégagé par les agents assermentés (ou pas d’ailleurs). Là, je crois mon salut proche, zioup ! les bandes anti-dérapantes sont gelées aussi, sinon ce n’est pas drôle, et la lecture oulipienne de ce soir prend peu à peu des allures de quête du Graal. Je précise à ce stade que je n’oublie pas le compte-rendu, que nous avons fait dix mètres en un paragraphe et qu’à cette allure, nous serons dans le fauteuil 3-3-G de velours rouge dans quelques lignes.
Zioup ! Seulement les bourrasques s’invitent. Vous croyez assurer votre pied sur un endroit du bois moins brillant de gel, le vent vous pousse, vous posez votre pied sur la glace et vous partez. Il faut que je m’attarde un peu sur cette sensation de glissage qui est fort différente de l’aquaplanning sur lattes automnal. Dans les cas d’aquaplanning, si la latte est prise dans le sens de longueur, la glissade est lente, continue, le corps vacille vers l’arrière. Dans le cas de la bourrasque sur gel, elle est soudaine, saccadée et le vent fait ce qu’il veut de votre corps. Soudain, dans cette froide nuit, un râle, c’est une femme qui zioup ! elle aussi. Mue par une sourde colère, elle presse le pas, court presque jusqu’à la rampe. Sans glisser. J’hésite à la suivre. Il se trouve que Mme Mère m’a appelée hier soir pour m’annoncer qu’elle allait devoir porter une orthèse stabilisatrice de cheville pendant six semaines suite à un oubli de marche, je me ravise. Six semaines, c’est long.
J’arrive finalement, enfin, à la rampe de descente vers l’entrée Est. Là encore, il faut se cramponner pour ne pas glisser sur ce tapis roulant qui ne roule plus, arrêté qu’il a été après un trop fort taux de chute de lecteurs. A ce stade, je m’interroge : serait-ce de la part de l’établissement une stratégie pour éviter le syndrome BPI, j’ai nommé la queue ? A Tolbiac, on peut éliminer un tiers des lecteurs par bronchite, pneumonies et autres joyeusetés respiratoires et un autre tiers par chute. C’est propre, sans traces, et surtout ça paraît involontaire.
Bref, après avoir encore affronté l’épreuve du portique qui bippe toujours parce qu’on a oublié quelque chose et qu’il est un portique zélé, on pénètre dans le hall. Là, tout va vite. On file vers les auditoriums, on ouvre successivement quatre portes gris métallique aussi lourdes et épaisses que hautes, en passant par une sorte de néant gris, fait en cote de maille (je jure que c’est vrai, vous n’avez qu’à y aller, d’abord, si vous ne me croyez pas, ça me dispenserait de cet exercice qu’est le compte-rendu). On entre dans le hall des auditoriums – c’est chic, Tolbiac, ça peut se permettre d’avoir plusieurs halls – et là, on s’achemine gaillardement, les pieds sur du bois sec, vers le fauteuil 3-3-G de velours rouge dans lequel on se coule en se disant qu’on ne nous y reprendra plus, à sortir en des lieux pareils par pareil temps. Il faut quand même que je précise que le fauteuil 3-3-G de velours rouge ne doit pas être immatriculé de la sorte. Mais, voyez-vous, bien que nous ne soyons pas limité ici par les 140 caractères tyranniques de Twitter, j’ai préféré vous épargner la mention du 3° fauteuil, 3e rangée en partant de la scène, côté jardin.
Les sept oulipiens de ce soir sont déjà là, sagement installés sur leurs petites chaises : Hervé Le Tellier, Yann Monk, Michèle Grangaud, Marcel Benabou, Michèle Audin, Jacques Roubaud et Frédéric Forté. Le président secrétaire définitivement provisoire Benabou ouvre la séance en remerciant chaleureusement son public d’avoir bravé la glace. Jacques Roubaud, nous dit-il, a bien noté qu’il y avait deux fois moins de monde que d’habitude. Et moi de me demander combien sont encore là-haut sur le parvis, centres de gravité perdus, bras et jambes en l’air, qui moulinent pour tenter, non d’effrayer les étourneaux et en cela d’aider l’établissement à se débarrasser de ce fléau quoiqu’il fût beau chanteur au couchant, mais bien de se redresser, en vain.
A ce stade, permettez que je donne quelques précisions sur l’Oulipo au cas où quelque geek des Kiribati égaré sur ce blog ignorerait tout de ce groupe littéraire. On n’est jamais trop prudent, surtout avec les geeks des Kiribati lorsqu’ils sont égarés. L’Oulipo, donc, est l’ouvroir de littérature potentielle. Pour faire simple et vite, les Oulipiens écrivent en se fixant des contraintes (saisissez-vous le trait d’humour dans le titre de mon billet maintenant ?), l’exemple le plus connu étant le roman de Perec, La disparition, écrit sans la lettre E. Pour de plus amples explications, vous êtes des grands lecteurs, vous irez voir par là.
Des contraintes ce soir, nous en avons eu. Le thème de la lecture était la rumination. Le président secrétaire définitivement provisoire Benabou nous a lu des parantonymes de son cru (oublier/publier), nous citant notamment ce cher exemple : « si les rationalismes font des êtres aboutis, les nationalismes font des êtres abrutis ». Rires. Jacques Roubaud lut pour sa part un projet de pièce de théâtre désopilant où il amenait déguisés des personnages d’un auteur contemporain de Shakespeare, un actrice platine et une ministre britannique à un bal chez la princesse de Clèves. La star de cette soirée fut sans conteste Hervé Le Tellier. Il nous livra pendant quelques trop courtes minutes la confession d’un philosophe télévisuel, adepte du gros concept et marié à une actrice rohmerienne de 45 kilos (toute ressemblance bla bla bla, NDLR). « Je gros-conceptualise à plein temps », faisait-il dire à son philosophe préoccupé de ses cols de chemises. Et voilà qu’une petite erreur, une mention d’un philosophe qui n’existait pas tout à fait allait mettre notre télévisuel très mal à l’aise. Ce n’est pas, expliquait l’orateur, une erreur d’érudition, de cela le philosophe télévisuel n’a point. Le Tellier achevait en présageant que le personnage allait maintenant la jouer beau joueur, avec un humour qu’on ne lui connaissait pas jusque là…
Fin de la lecture par les traditionnelles annonces faites par Frédéric Forté, digne remplaçant d’Olivier Salon dans la bafouille. Puis, après un passage devant les volumes exposés de la Bibliothèque oulipienne, retour au logis. Je vous épargnerai le retour qui fut un tantinet moins éprouvant, le vent était tombé (presqu’une anacoluthe, mais bigre je devais reparler des zeugmes, tant pis il n’est plus temps).
Morale : si la BnF était en wifi, ou si du moins quelques toutes petites ondes de réseau téléphonique parvenaient jusqu’à l’auditorium, j’aurais pu twitter la soirée et vous n’auriez pas perdu à la lecture de ce compte-rendu le temps de trois notices de catalogage. Que l’ABES veuille bien me pardonner, mais que voulez-vous, une alerte neige sur Paris, ça paralyse tout.
Suggestion : d’humeur oulipienne sur le chemin de mon antre, je m’amusais en me disant que « motus et botul » ferait un beau sujet de philo à l’agreg. J’ai bien eu « Je me traverse » en comparée, moi, à l’agreg….
Mise à jour, le lendemain matin : on me signale que Marcel Benabou n’est pas président, c’est Paul Fournel le malheureux à qui j’avais retiré ce titre. Marcel Benabou est pour sa part secrétaire définitivement provisoire et secrétaire provisoirement définitif.