Très peu de billets ont paru pour évoquer cet ouvrage du directeur de la bibliothèque d’Harvard. Je trouve que c’est un peu dommage et, surtout, cela ne laisse pas de m’étonner. Mais passons.
Voici donc quelques notes prises rapidement à la lecture. Précisons qu’elles sont forcément lacunaires, ce qui suit n’étant pas une recension. Suivent les mentions à quelques biblioblogs qui ont évoqué cette Apologie du livre.
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Robert Darnton l’indique dans la préface, l’édition en français de son ouvrage est une fusion de onze essais en six chapitres et un épilogue pour « adapter au contexte français » son approche du débat. On ne peut que le ressentir à la lecture, qui n’est pas sans redites, et c’est dommage.
Le livre s’ouvre sur cette pratique du recueil de citations très en vogue au XVIe siècle. Darnton y voit là l’ancêtre de notre lecture numérique souvent fragmentée. Pour lui, l’opposition entre « lecture segmentaire » et « lecture séquentielle » ne date pas absolument pas du web.
Le passage où est expliqué que la contrebande de livres a toujours existé, qu’elle a pu concerner jusqu’à la moitié des livres en circulation et que ce piratage était une industrie très organisée, m’a pas mal amusée à l’heure où l’on entend les éditeurs clamer qu’un mal nouveau les menace. Les « attaques contre la propriété littéraire » ne sont pas nées d’hier.
L’historien du livre qu’est Darnton voit quatre mutations concernant ce qu’il appelle les « techniques d’information » : naissance de l’écriture, remplacement du rouleau par le codex, invention de l’imprimerie, invention de l’internet. Ces bouleversements se produisent à un rythme de plus en plus soutenu, note-t-il.
Darnton évoque ensuite la fiabilité de l’information, dont on déplore souvent la qualité sur le web. « Les nouvelles ont toujours été un artefact et […] elles n’ont jamais correspondu à ce qui s’est réellement passé » (p. 74). Pour lui, « la nouvelle n’est pas ce qui s’est passé mais un récit de ce qui s’est passé » (p.75). S’ensuit un récit assez mordant de son expérience de jeune reporter aux faits divers qui cherche le récit sordide à publier. Tout y dépend des protagonistes, découvre-t-on. Il ajoute que « l’information n’a jamais été stable » et que nous devrions reconsidérer la notion même d’information car désormais « plutôt qu’à des documents solidement établis, nous avons affaire à des textes multiples et changeants » (p. 80).
Une description, fort sympathique pour le littéraire, présente ensuite le travail de l’historien du livre sur les différentes éditions de Shakespeare. Elle montre que la numérisation et le meilleur moteur de recherche ne pourraient se substituer au travail minutieux du chercheur pour établir l’origine et la particularité des différentes éditions existantes d’un même texte. Darnton regrette que Google emploie beaucoup d’informaticiens mais pas de bibliographes…
Un passage de cet ouvrage m’a particulièrement interpelée, celui qui concerne le budget d’acquisitions des bibliothèques de recherche. Darnton dénonce le fait que les périodiques électroniques coûtent de plus en plus cher (environ 25000 dollars pour un périodique en neurologie par exemple), ce qui grève le budget d’acquisitions des monographies. Or, si les BU achètent moins de monographies, les presses universitaires sont en difficulté et se trouvent obligées de moins publier. En bout de chaîne, les jeunes chercheurs ne parviennent plus à se faire éditer par les presses universitaires, au détriment de leur carrière. Donc, les archives ouvertes…
Apologie du livre revient sur la charge de Nicholson Baker contre le désherbage. Pour Baker, les bibliothèques ont tendance à se séparer du papier pour les journaux dès lors qu’elles possèdent un support de substitution (microforme, électronique). Baker le regrette car « le microfilm […] est inadapté, incomplet, fautif et fréquemment illisible ». Cette folie du gain de place a donné lieu à une destruction de masse qui est d’autant plus irrémédiable qu’il juge le microfilm inadapté. Darnton rejoint Baker pour déplorer les pertes considérables de journaux mais il est plus mesuré dans ces conclusions.
Pour finir, une citation à la toute fin du livre : « Le savoir pourrait églament être infini dans un système de communication où les hyperliens s’étendraient à toute chose – sauf que, bien sûr, un tel système ne saurait exister. Nous produisons bien plus d’informations que nous ne pouvons en numériser et, de toute façon, l’information n’est pas le savoir. Pour connaître le passé, nous devons en dégager les vestiges et apprendre à en tirer un sens » (p. 178).
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On pourra lire des extraits chez Bibliomab. Christian Jacomino a pour sa part publié un long billet, auquel Michel Roland-Guill a répondu. Lorenzo Soccavo, lui, a un avis plutôt négatif de l’ouvrage. Enfin, les précieux liens de PabloG pointent quelques articles sur Apologie du livre. Enfin, lors de la journée d’étude « Les bibliothèques à l’heure du numérique », Yves Alix a longuement fait mention à Apologie du livre dans son introduction.
Si j’omets des billets sur ce livre, les commentaires sont ouverts pour que je les ajoute au billet.
Suite au commentaire d’Aurélie B., j’ajoute l’article qu’elle a rédigé pour la newsletter de Territorial.
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Update (15/03/2011) : Rémi Mathis a également publié un compte-rendu très fouillé de ce livre sur Parutions.com.
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NB : on peut lire aussi l’article de Darnton « The library : three jeremiads » paru dans la New York revue of books en décembre 2010.