En juillet dernier, nous étions quelques-uns à avoir la chance de faire une visite de la salle Labrouste restaurée, à l’invitation de la direction de la bibliothèque l’INHA, pour redécouvrir ce lieu splendide qui rouvrira au public en décembre. L’ancienne salle des imprimés de la BN, restée vide après le déménagement de ses collections sur le site de Tolbiac, va en effet voir s’implanter la bibliothèque de l’INHA. Sa réouverture marque la fin de la première phase d’un chantier plus vaste, le projet Richelieu, qui vise à rénover le quadrilatère, aujourd’hui occupé par les départements spécialisés de la BnF.
Anne-Elisabeth Buxtorf, la directrice de la bibliothèque de l’INHA, nous a rappelé la genèse de la création d’un institut consacré à l’histoire de l’art et disposant d’une bibliothèque de référence, voulu par André Chastel dès les années 1980, qui se concrétise enfin. Dans un article du BBF en 2004, Martine Poulain, alors directrice de la bibliothèque, avait retracé l’histoire de l’Institut national d’histoire de l’art, qui n’était alors créé que depuis trois ans. Plus de 1,7 million de documents à terme, issus des collections de la bibliothèque d’art et d’archéologie et de la bibliothèque centrale des musées nationaux, auxquels s’ajoutent les acquisitions courantes réalisées depuis quinze ans.
Le projet architectural, lui, était aussi ambitieux que visionnaire. André Chastel avait déjà imaginé un libre accès pour les lecteurs de la future bibliothèque. Lorsque l’INHA a pu disposer de la salle Labrouste, il est apparu que ce libre accès trouverait naturellement sa place dans le magasin central.
« Le souhait de l’INHA est bien sûr que le concours soit gagné par un architecte dont le génie soit si ce n’est égal à celui de Labrouste, tout au moins apte à respecter son œuvre, tout en lui donnant cette once de modernité et d’invention qui sont le signe du vrai respect du patrimoine. Les merveilleuses cariatides qui entourent l’immense baie vitrée ouvrant sur les magasins Labrouste, obscurcis par Roux-Spitz, attendent l’architecte hors pair qui saura redonner vie à ce passage fameux entre une architecture traditionnellement basilicale (la salle Labrouste), et une architecture de fer promise à un bel avenir, avec Eiffel ou Guimard. » [1]« Une grande bibliothèque d’art en préparation : la bibliothèque de l’INHA« , Martine Poulain
C’est finalement Bruno Gaudin qui a conduit ce vaste chantier, ainsi que l’architecte en chef des monuments historiques, Jean-François Lagneau. Il s’agissait de faire d’un lieu classé un espace accessible pour les publics à mobilité réduite et adapté aux usages d’aujourd’hui. Le hall, la salle Labrouste et le magasin central sont désormais accessibles de plain-pied.
La salle Labrouste a retrouvé ses couleurs d’origine et pour qui l’a connue avant les travaux, la différence est spectaculaire. « Cette lumière ! », s’exclamait votre serviteure en y déambulant. Pour un peu, les arbres peints par Desgoffe trembleraient sous la brise.
Ce vaste espace, où le service des acquisitions de l’INHA a été installé quelques années après le déménagement des imprimés de la BnF à Tolbiac, s’était assombri au fil des années. Jamais on n’aurait pu imaginer il y a dix ans la clarté voulue par Labrouste et cette impression d’être si proche du jardin grâce aux baies vitrées — on apercevait les cimes des arbres au moment de la construction — et aux fresques.
Les coupoles ont retrouvé leur blancheur nacrée d’origine, la moquette a été remplacée par un parquet en chêne, qui renvoie lui aussi la lumière.
Les rayonnages de la salle ne seront pas accessibles au public, qui rêvera sans doute de la vue spectaculaire depuis la galerie. Trop peu larges, difficilement accessibles, les galeries ne seront autorisées qu’au personnel.
Les futurs lecteurs pourront profiter des astucieuses trouvailles de Labrouste pour travailler confortablement. À chaque place, il avait prévu une patère pour accrocher les sacs. Les tuyaux qui courent sous les tables servaient non seulement de repose-pied, mais aussi de chauffage. La salle était également chauffée par les beaux calorifères et par des bouches d’air chaud au sol, disposées un peu partout dans les allées. La moquette les avait dissimulées, on les redécouvre aujourd’hui.
Le clou de la visite a été la découverte du magasin central, qui a lui aussi été entièrement restauré. Je l’avais déjà visité avant les travaux, c’est sans doute la plus spectaculaire rénovation qu’il m’ait été donné de voir. Dans le magasin central, les rayonnages avaient été doublés, car la BN manquait de place, et les caillebotis étaient recouverts pour faciliter la circulation des chariots. De gros et laids robinets incendie armés étaient venus s’ajouter, prévention incendie oblige. Les architectes ont relevé un double défi lorsqu’ils ont travaillé sur cet espace : ils lui ont à la fois redonné son aspect d’origine et ils l’ont rendu accessible au public, en y ajoutant 82 places de lecture.
C’est en effet dans ce lieu que seront installés les 150.000 ouvrages en libre accès de l’INHA. Un vaste chantier de sélection des ouvrages a été conduit dans les années 2000, sous la houlette de Catherine Brand, alors chef du service des acquisitions, sur l’intégralité de la collection. Munis d’une petite table et d’un ordinateur portable, des binômes de bibliothécaires ont passé des heures dans les magasins à passer en revue chaque ouvrage, afin de déterminer s’il rejoindrait ou non le futur libre accès. Ce travail de fourmi voit son aboutissement aujourd’hui et ce n’est pas sans émotion que j’ai découvert l’endroit où ces livres trouveraient finalement leur place [2]Il faut vous imaginer que nous avons fait de la sélection dans tous les magasins de Richelieu, du caveau, ainsi nommé pour ses voûtes, au 6e étage du magasin de la salle ovale, en passant par la … Continue reading.
Revenons-en au magasin lui-même, où le métal et le bois ont retrouvé leurs droits.
Les caillebotis d’origine n’ont pas pu être laissés en l’état. Il faut vous imaginer que marcher sur de la fonte ajourée, c’est spectaculaire, vertigineux même, mais ça n’autorise ni les talons, ni les fauteuils roulants, ni les chariots à livres, sans compter la poussière qui passe. Les architectes ont donc ajouté un nouveau caillebotis, pour gagner en confort sans perdre en lumière. En relevant les yeux, on peut toujours voir celui d’origine, qui a été conservé. On peut se rendre compte de l’aspect de la fonte à la construction, une splendeur de légèreté, sur les photos de la BnF consacrées au projet Richelieu, notamment celle de la galerie Auguste Rondel.
La baie séparant le magasin et la salle avait été fermée par Michel Roux-Spitz, l’architecte en chef de la bibliothèque nationale entre 1932 et 1953. Devant répondre à des contraintes de place, celui-ci a ajouté les colonnes métalliques noires que l’on voit toujours dans le magasin, pour pouvoir construire des étages supplémentaires.
Le pneu, l’un des derniers à n’avoir pas été démonté, a été conservé par les architectes. Il servait à envoyer, au moyen de « curseurs », les demandes de communication des lecteurs aux magasiniers en poste dans les différents magasins de la BN.
Dans la salle Labrouste, l’hémicycle a été intégralement réaménagé. La nouvelle banque de communication y est installée, de même qu’un espace de reprographie. La salle de consultation patrimoine en occupera aussi une partie [3]à l’ouverture en décembre, le département des estampes et de la photographie de la BnF l’occupera, le temps de la seconde phase de travaux.
Plus de présidence de salle comme auparavant, les responsables du projet ayant opté pour une nouvelle banque de renseignements, au sein même des places de lecture.
Si vous êtes observateurs, vous remarquerez que les places autour des colonnes en fonte ont été supprimées, normes de sécurité obligent, parce que la fonte est un matériau combustible et qu’on tient au confort des lecteurs. Qu’on se rassure, les pompiers veillent toujours.
Lorsque nous sélectionnions les livres pour le libre accès de cette bibliothèque et que nous voyions la date des travaux reculer souvent, nous perdions parfois l’espoir de voir le projet se concrétiser un jour. Enfin, on peut s’en réjouir et imaginer que les cariatides, qui ont connu plus de transferts de collections qu’il est possible d’en imaginer en une vie d’homme, vont de nouveau voir passer des générations de lecteurs.
Il me reste à remercier infiniment, pour clore cet article, Anne-Elisabeth Buxtorf, directrice de la bibliothèque de l’INHA, Lucie Fléjou, de la mission communication de la bibliothèque, et Hélène Boubée, du service de la communication de l’INHA, de m’avoir donné l’occasion de revenir dans cette salle où j’ai débuté ma carrière. Louis Jaubertie, qui œuvre projet Richelieu à la BnF, était aussi de la visite pour répondre à nos questions.
Notes
↑1 | « Une grande bibliothèque d’art en préparation : la bibliothèque de l’INHA« , Martine Poulain |
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↑2 | Il faut vous imaginer que nous avons fait de la sélection dans tous les magasins de Richelieu, du caveau, ainsi nommé pour ses voûtes, au 6e étage du magasin de la salle ovale, en passant par la troisième galerie de la salle ovale, où votre serviteur tremblait de faire tomber un livre et tentait vainement de se convaincre que, non, elle n’était pas sujette au vertige. |
↑3 | à l’ouverture en décembre, le département des estampes et de la photographie de la BnF l’occupera, le temps de la seconde phase de travaux |