La communication non violente au travail ?

« D’après différentes enquêtes, plus ou moins 60% des personnes au travail s’ennuient, souffrent de stress, de harcèlement, de la peur du lendemain, de la crainte du regard de l’autre, de l’appréhension du conflit, de la difficulté à exprimer leurs émotions de manière utile et transformante et de l’incapacité à dire non à temps, dans la bonne mesure et à la bonne personne. Souvent, ces personnes ressentent la désespérante impression de ne servir à rien, de n’être utile à personne, de ne goûter aucun sens à ce qu’elles font et viennent, bien malgré elles, grossir soit les listes répertoriées de l’absentéisme, soit celles, moins officielles mais tout aussi tragiques, du présentéisme. « 

Thomas d’Ansembourg, in Pratiquer la CNV au travail / Françoise Keller

Les premiers mots de la préface de ce livre de Françoise Keller, Pratiquer la CNV au travail, rappelleront à beaucoup d’entre nous des situations déjà connues, passagères ou enkystées, résolues pour certains, dramatiquement présentes pour d’autres. La méthode exposée pour les résoudre n’est pas nouvelle, la Communication NonViolente est une technique, une marque déposée même (!), développée par Marshall B. Rosenberg dans les années 1970, reposant sur l’empathie.

En deux mots, la CNV consiste à considérer que chacun a un certain nombre de besoins. Dans une situation de communication, les incompréhensions naissent souvent de l’insatisfaction de l’un ou l’autre de ces besoins (« Mon chef m’est tombé dessus dès lundi matin ! » => votre besoin de sommeil était-il vraiment satisfait ?). Au lieu de tenir grief à l’autre de sa demande, en CNV, on doit tenter de la reformuler en une observation, afin de pouvoir amorcer un dialogue, dans lequel on sera tout aussi attentif aux besoins de l’autre qu’aux siens (Mon chef m’est tombé dessus dès lundi matin, quelles sont ses attentes ? => « Vous semblez préoccupé, y a-t-il des délais contraints pour … ? »).

On retrouve souvent le symbole de la girafe en CNV : la girafe a un gros cœur (et non pas le cœur gros, par avance, pardon pour l’earworm), elle accepte d’exprimer ses émotions. De par sa hauteur, elle voit loin et elle peut anticiper. Enfin, elle a une langue épaisse qui lui permet de se nourrir sans sentir les épines des acacias dont elle raffole. Bref, la girafe, en CNV, c’est la panacée.

Et devenir girafe, ça s’apprend, ce qui suppose tout de même quelques bouleversements de la culture professionnelle. On remplace les traditionnels tours de table en réunion par un tour « météo intérieure ». Et de demander aux collaborateurs comment ils se sentent au travail, quelles sont leurs attentes en venant le matin. On s’interroge moins sur les avancées pour atteindre les objectifs, que sur les besoins de chacun pour les atteindre.

Le livre de Françoise Keller regorge d’exemples de situations où la CNV peut aider. Globalement, au lieu d’envoyer paître le collègue qui dit qu’il manque de temps, on est plutôt censé réagir en invitant au dialogue : « Quand tu me dis que c’est normal que ton programme ne marche pas parce qu’on ne t’a pas donné assez de temps, je suis agacé car j’ai besoin de clarté dans les engagements que nous prenons les uns et les autres. Comment réagis-tu quand je te dis ça ? » (p. 188)

J’ai lu ce livre parce que j’étais à la recherche d’ouvrages sur la gestion de conflits, notamment ceux qui peuvent survenir avec les usagers. Le terme « non violent » est trompeur, certains formateurs lui préfèrent celui de « communication consciente », en raison de l’attention qu’on va porter à chacun, mais aussi à soi-même (l’auto-empathie a une grande importance en CNV). Ce n’est donc pas dans cet ouvrage qu’on trouvera des réponses à la façon de répondre au lecteur qui vous agresse verbalement à la banque d’accueil. La CNV est par ailleurs un processus au long cours, qui s’acquiert avec un temps de pratique conséquent.

Par ailleurs, l’ouvrage est vraiment adapté — comme c’est malheureusement le cas pour 99% des ouvrages de développement personnel — au monde de l’entreprise. Difficile parfois de se reconnaître dans ces exemples de gens qui ont avant tout des clients à satisfaire.

Pour autant, donner la possibilité à chacun d’exprimer ses attentes, au moment où certains baromètres ne sont pas au beau fixe chez les fonctionnaires, semble une piste à explorer pour améliorer la qualité de vie au travail.

  • Keller Françoise, Pratiquer la CNV au travail: la communication non violente, passeport pour réconcilier bien-être et performance, Paris, France, InterÉditions, 2013.
  • Rosenberg Marshall B., Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : introduction à la communication nonviolente, Paris, France, La Découverte, 2005.

5 Commentaires

  1. Bonjour,
    Encore mieux que les livres pour comprendre la CNV : l’expérimentation par la pratique. Il y a 3 modules de base pour pratiquer avec des formateurs certifiés : http://www.cnvformations.fr/
    Et la CNV aide dans toutes les situations, familiales, professionnelles…
    On devrait l’apprendre aux enfants à l’école car le principe de base c’est effectivement de reconnaître ses émotions et comprendre quels besoins ne sont pas nourris lorsque nous sommes colère, triste… Se recentrer sur soi et ne pas accabler les autres de nos « malheurs » !
    Merci pour cet article Cécile.
    Carole, bibliothécaire en transition « girafe » 😉

    1. Certains de mes collègues ont expérimenté et ils sont aussi enthousiastes que vous !

  2. Bravo pour ce billet ! Très vrai, quand on « lit » de la CNV, on a toujours l’impression que les situations décrites se trouvent dans un autre monde, et qu’il n’est pas vraiment possible de les appliquer dans le nôtre. De ce point de vue, je trouve que les situations réelles décrites dans le manuel de Rosenberg aident plus (par leur diversité : famille travail, milieu thérapeutique, etc.), que les exemples tirés du monde de l’entreprise, où le vocabulaire nous fait souvent tiquer.
    Mais il y a de toute façon, dans la « formulation non-violente », un côté artificiel et qui gène. Malheureusement, c’est là que réside sa force : dans le refus de raccourcir la formulation, de confondre ce que TU fais et ce que J’EPROUVE quand tu le fais, bref dans le courage de formuler une émotion (héroïque en milieu pro, en privé c’est un peu plus faisable mais pas si facile) etc. Eprouvant, mais efficace. Mais éprouvant ;-).
    Cela dit, je suppose qu’effectivement le passage par une formation « avec des pros » est un accélérateur précieux si l’on veut vraiment avancer. La CNV a quelque chose d’une gymnastique. Plus on la pratique, moins c’est dur… Encore bravo pour avoir abordé le sujet !

    1. Merci 🙂

      Je n’ai toujours pas lu le livre de Rosenberg, alors qu’il est devant mon nez depuis des mois, promis, je m’y mets !

  3. Je me suis intéressée à la CNV essentiellement pour des questions de communication entre collègues et de communication intra-familliale (éducation non-violente).
    A l’usage, je trouve que son usage est le plus facile (je ne dirai pas évident bien sûr), avec les lecteurs. C’est au fond notre mission au bureau de renseignement de bien comprendre le besoin du lecteur (parfois très différent de la demande explicitement formulée), de la satisfaire ou le cas échéant d’indiquer pourquoi nous ne pouvons pas la satisfaire et de réorienter.
    Prendre l’habitude de noter (intérieurement) que nous sommes agacés par une demande ou un comportement de lecteur sans jugement de ce dernier ni culpabilité puis réfléchir sereinement à ce qui provoque chez nous cette réaction aide vraiment à garder une attitude courtoise et ouverte, tout en faisant respecter le règlement et les limites des services offerts aux usagers.
    Au final moins de conflit qui dégénèrent, une meilleure ambiance de travail pour le bibliothécaire et une diminution du traitement « à la tête de l’usager ».

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