«Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient—le mot n’est pas trop vaste—au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.» (Victor Hugo, Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878, 1878)
On lit dans la traduction française du manifeste de Communia : « Le domaine public joue un rôle essentiel dans les domaines de l’éducation, de la science, du patrimoine culturel et de l’information issue du secteur public. » Il me semble que sa défense devrait être au coeur des préoccupations des bibliothécaires, pas simplement quand une affaire Relire ou Elsevier se produit, mais au quotidien, afin que nous puissions proposer aux usagers le meilleur des accès aux ressources, qu’elles soient scientifiques ou artistiques.
Lionel Maurel ne le dit pas autrement quand il écrit : « Le domaine public doit être le même pour tous les citoyens en France, car derrière cette notion, c’est la liberté fondamentale d’accès à la Culture et le droit de créer à partir des oeuvres du passé qui sont en jeu. »
Isabelle Attard, députée à l’origine d’une proposition de loi sur le domaine public, revient dans une interview conduite par les étudiants sur les raisons qui s’imposent pour légiférer : protéger les oeuvres de dérives comme le copyfraud, pour ne citer qu’un seul exemple.
La contribution d’André Gunthert, qui reprend sa communication de la journée d’étude sur le sujet à l’Assemblée nationale, est très éclairante pour comprendre les obstacles auxquels se heurtent les chercheurs, notamment en histoire de l’art, face aux incessantes demandes d’autorisation qu’ils doivent effectuer auprès des ayants droit. Si la courte citation est autorisée pour les textes, il n’existe rien de comparable en matière de droit des images, ce qui génère des aberrations préjudiciables à la recherche.
La Revue de l’art, caviardée sur Persée |
Et André Gunthert de conclure : « Les usages publics ne menacent pas la culture. Ce sont eux qui la font vivre. La culture n’existe que si elle est utilisée, et non pas seulement consommée. C’est donc en admettant d’oublier les seuls intérêts des industriels qu’on rendra le meilleur service au commerce des œuvres de l’esprit. Quoiqu’il en soit, les images et les contenus multimédia sont dès à présent au cœur des usages. Le droit, lui, n’est plus qu’à la lisière de la légitimité. »
Hervé Le Crosnier rappelle quant à lui les apports aussi importants que visionnaires de Jean Zay qui, après les grèves de 36, défendait déjà une loi sur le domaine public. C’est le déclenchement de la guerre qui empêcha son projet d’être débattu à l’Assemblée.
Le dossier s’achève sur la contribution de Véronique Boukali et d’Alexis Kaufmann, le fondateur de Framasoft, qui ont créé le site Romaine lubrique. Leur projet est né d’un étonnement : attendre 94 ans l’entrée d’Apollinaire dans le domaine public pour le réutiliser pour ses enseignants, c’était décidément trop. Le projet est né pour valoriser le domaine public et les créations qui sont faites à partir des oeuvres désormais libres de droits. Regardez le site et les initiatives qu’il mentionne, on y voit la culture en train de se faire.
L’ouvrage a le mérite d’être pédagogique et de rappeler les nuances entre domaine public, biens publics et biens communs, qui ne sont pas toujours aisées à percevoir. Il se referme sur quelques extraits d’oeuvres désormais réutilisables, pour le plaisir des yeux.
Peter Rabbit, Beatrix Potter (1866-1943) |
Vertumne et Pomone, Camille Claudel (1864-1943) |