Dans le cadre de l’une de nos unités d’enseignement, l’enssib nous a proposé d’organiser des tables rondes. Evidemment, « la bibliothèque sur le web » est une thématique qui m’a parlé…
Nous étions neuf camarades de la promo à avoir travaillé sur l’organisation, sous la houlette de Benoît Epron. Moi qui rédige des billets sur toutes les journées d’étude auxquelles j’assiste depuis des années sur ce blog, je ne pouvais pas faire l’économie de celui-ci !
Nous avions invité à échanger avec nous :
• Caroline Daviron, BM Perpignan
• Christophe Hugot, Lille 3
• Louis Jaubertie, BnF
• Cécile Touitou, Sciences po
et ce sont Bérenger Hainaut et Marjolaine Simon qui ont brillamment modéré la table ronde.
La table ronde était structurée selon deux axes, le point de vue du public et ses attentes, puis les réponses apportées à celles-ci par les professionnels.
Ce qui nous a intéressé, ce n’est pas réellement la façon dont une offre de services se retrouve transposée à travers le site internet de la bibliothèque, mais plutôt la façon dont la bibliothèque trouve peu à peu sa place sur des sites qui ne sont pas « les siens », qui ne sont pas produits par l’institution – et en particulier, la façon dont elle s’installe sur les réseaux sociaux.
Nouvelles attentes des usagers vis-à-vis de la présence des bibliothèques sur le web
Tous les participants sont revenus sur le fait qu’il est indispensable désormais de se trouver « là où le public passe », pour reprendre la formule de Lionel Maurel.
Cécile Touitou a expliqué que la stratégie de communication de la bibliothèque de Sciences Po s’est construite au fur et à mesure, se modifiant en fonction de des interactions avec les usagers. Aujourd’hui, il existe une véritable politique éditoriale à destination des étudiants qui sont très présents sur le web et sur twitter en particulier.
Christophe Hugot a décrit un contexte différent. Il est seul à gérer la bibliothèque des sciences de l’antiquité de Lille 3. Le blog, les deux twitter et le compte zotero procèdent donc de sa seule volonté et du temps qu’il peut leur consacrer. Au départ, il s’agissait de disposer d’un espace moins contraint que le site de la BSA et au fur à et à mesure, il a pu constater un véritable engouement pour le blog. Désormais, il est sollicité pour annoncer des événements liés aux sciences de l’Antiquité.
Caroline Daviron a expliqué que les bibliothèques de lecture publique n’avaient investi Facebook qu’à partir de 2009 alors que le réseau existait depuis 2004. Elle revient dans son article sur le BBF, « Médiathèques et Facebook« , sur la façon dont les établissements ont peu à peu été présents sur ce réseau.
Louis Jaubertie a présenté le service qui gère la médiation numérique de Gallica. Six personnes s’occupent de faire vivre le comptes twitter et la page facebook de la bibliothèque numérique de la BnF. Depuis 2012, un compte pinterest a également été ouvert. L’article « Une bibliothèque virtuelle sur les réseaux sociaux, l’exemple de Gallica » paru sur le BBF en 2012 est très éclairant pour comprendre le fonctionnement de ce service hors normes, où le rythme rapide des échanges sur les réseaux s’est substitué à la lourde validation hiérarchique de l’établissement. Gallica sur les réseaux sociaux s’adresse au grand public, même si le coeur des utilisateurs reste les chercheurs. C’est une volonté de trouver d’autres lecteurs, sans perdre pour autant la communauté des chercheurs.
Chaque établissement adapte son type de communication à son public.
A Sciences po, le compte Twitter joue entre autres le rôle du « service après-vente » de la bibliothèque (la clim est en panne !) et c’est un relais de l’événementiel (LT lors des conférences organisées par la mission Communication Externe par exemple).
A Perpignan, Caroline Daviron a diffusé et analysé les réponses d’un questionnaire sur les attentes des usagers. Ceux-ci souhaitent trouver leur médiathèque sur Facebook car ils ont envie d’une bibliothèque active, en accord avec son époque, qui signale les événements organisés. Transparaît le besoin d’un ton plus personnel, d’une communication plus proche du bibliothécaire, afin de pouvoir interagir et dialoguer avec lui. L’usager souhaite un bibliothécaire accessible, qui n’hésite pas à « liker ».
Les participants ont relevé un écueil à éviter : il ne faut pas que les réseaux sociaux soient une reprise automatisée du blog ou du portail de l’établissement. Au contraire, il faut une valeur ajoutée sans quoi les interactions ne se développeront pas.
A la BSA de Lille 3, Christophe Hugot a souhaité donner la parole à l’institution. Auparavant, celle-ci n’existait qu’en creux sur les réseaux sociaux, à savoir qu’elle n’apparaissait que par ce que les utilisateurs en disaient. Désormais, elle a sa propre voix et elle peut choisir l’image qu’elle donne d’elle. Le premier billet du blog traitait de l’architecture du campus, il a connu un très fort retentissement interne : il a été relayé sur la première page du portail et été annoncé par messagerie. De fait, il y a eu un engouement de la tutelle qui reprend désormais les billets et a finalement créé de son côté, quelques années après, un blog qui s’appelle Inforum. Le blog est alimenté par les billets de Christophe Hugot mais aussi par ceux des chercheurs qui sont régulièrement invités à contribuer. Il se transformera peut-être en un carnet sur Hypothèses. Le compte twitter, pour sa part, annonce non seulement les parutions du blog mais il relaie aussi les informations sur l’Antiquité que Christophe Hugot peut glaner. Un scoop-it sert à archiver ce qu’il est pertinent de sauvegarder dans toutes les annonces effectuées sur twitter.
Pour alimenter les comptes Gallica, six personnes se relaient, chacune prenant la responsabilité des publications une semaine sur six. Les tweets sont postés du lundi au vendredi quand les collègues sont au travail. L’ensemble des personnes du service a accès à un compte privé avec un chat qui permet de tester les propositions de publications et d’harmoniser la ligne éditoriale.
On constate que les usagers viennent chercher sur les réseaux sociaux des informations qu’on ne trouve pas toujours sur les sites institutionnels.
Les réseaux sociaux constituent un lieu d’échange, une sorte de forum, qui permet un contact direct. Sur twitter, on est en prise directe avec les usagers. Le vocabulaire est celui de l’affect avec de prises de parole parfois directes. Cependant, même s’il arrive que le langage soit fleuri, il s’agit d’être à l’écoute de l’usager, d’apporter une réponse rapide à ses attentes car il est contre-productif pour une institution de laisser une question sans réponse, cela afin de casser l’image de froideur que peuvent avoir les sites officiels.
Si les usagers veulent un échange direct avec les usagers et si certains cherchent à savoir qui alimente les comptes, la question n’est pas pour autant primordiale. L’essentiel est plutôt pour l’établissement de trouver le ton juste, un ton qui paraisse informel tout en représentant l’institution. L’équation n’est pas simple… Cécile Touitou a mentionné une étude réalisée auprès d’étudiants de Malaisie, qui a révélé que seuls 17% d’entre eux souhaitaient la présence de leur bibliothèque sur les réseaux. La préservation d’une sphère privée n’est pas étrangère à un tel taux de réponses.
Il est toutefois possible de dépasser cette apparente contradiction en co-construisant des contenus avec ceux des usagers qui sont motivés. L’équipe Gallica met régulièrement en avant sur twitter les contenus postés par les #Gallicanautes et elle reprend parfois sur Facebook des albums nommés « L’invité de Gallica », que les usagers ont créés. Cette mise en avant des usagers, qui apparaissent également dans la lettre d’information, sera renforcée dans la nouvelle version du site.
L’activité sur les réseaux sociaux est-elle mesurable et est-elle très regardée par les tutelles ?
Sur Facebook, les statistiques fournies sont relativement fines et permettent quelques exploitations, au contraire de twitter où l’on dispose de moins d’informations sur les abonnés. Cependant, les tutelles se bornent souvent à demander le nombre de followers ou de fans, sans plus de détails, mais elles n’en font pas non plus une priorité.
Pour observer la création dynamique d’un réseau autour d’une institution, a précisé Cécile Touitou, on peut se reporter à l’étude de Stuart Palmer en 2013, « Characterisation of the use of Twitter by Australian Universities », Journal of Higher Education Policy and Management, 35:4, 333-344.
N’y a-t-il pas un risque de déconnexion entre l’image qu’on veut donner de la bibliothèque sur les réseaux sociaux et la pratique quotidienne au sein de la bibliothèque ? Est-ce que ce lien direct sur les réseaux sociaux a un impact sur le lien physique entre les usagers et les bibliothécaires ?
Lorsqu’un usager se plaint du manque de chauffage sur twitter, a expliqué Cécile Touitou, on aura beau lui répondre dans l’heure, ce qu’il attend c’est que le chauffage monte réellement !
Il arrive parfois que la réponse à apporter soit délicate ou qu’elle touche à des orientations stratégiques de l’établissement, a précisé Louis Jaubertie. Dans ces cas-là, il est indispensable que l’établissement lui-même affiche une position avant que le service Gallica puisse la relayer. Parfois, ce sont les usagers qui réagissent à la place des bibliothécaires, s’entraidant ou discutant de la question posée, et c’est parfait !
Déconnecter…
Les intervenants avouent tous être devenus un peu « addict » aux services qu’ils gèrent. Il n’est pas rare que l’équipe Gallica réponde sur twitter en soirée et Christophe Hugot témoigne du fait que ses tweets sont le produit de sa veille personnelle, ils sont donc mis en ligne quand il lit, souvent en week-end pour ce qui est de ses lectures en sciences de l’Antiquité.
Il apparaît néanmoins nécessaire de poser des limites. Chez Gallica, lorsqu’ils sont en congés, les membres de l’équipe regardent, surveillent mais s’interdisent de réagir. Il est bon que les usagers comprennent qu’il y a des humains derrière et que les vacances, ce sont les vacances!
Coordonner la présence de la bibliothèque sur les réseaux sociaux avec les services de communication institutionnels
Louis Jaubertie explique qu’aucun agent de la communication n’est membre de l’équipe réseaux sociaux de Gallica. Il s’agit de répondre à une demande des usagers, qui s’attendent à avoir un bibliothécaire en face d’eux et non pas un communiquant. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne font pas appel à des techniques de communication et de marketing.
A Sciences Po, la bibliothèque est un peu à part des activités de la communication institutionnelle. Aucune consigne n’a été donnée à l’équipe qui gère les réseaux sociaux, si ce n’est le respect de la charte graphique : la responsable communication de la bibliothèque est très libre.
En BM et BDP, explique Caroline Daviron, les portails et les sites sont souvent très normalisés, avec une charte graphique qui ne peut être modifiée. Les réseaux sociaux permettent d’avoir un peu plus de liberté.
A la BSA, la question de la concurrence ne s’est jamais posée : le site de la bibliothèque et son blog sont nés avant le site de l’université. La communication de la BSA porte presque exclusivement sur l’Antiquité : il y a peu de risques que les informations empiètent sur celles données par la communication de l’établissement.
Quelles réponses des professionnels ?
Comment fait-on quand on est professionnel pour mettre en place ces projets ? Pourquoi cette volonté de présence sur le web ?
Pour Cécile Touitou, il s’agit avant tout d’une volonté de promouvoir les services car toutes les enquêtes montrent une grande méconnaissance des outils, des fonds et des services par les usagers. Il n’existe pas à l’heure actuelle de positionnement sur la question de la valorisation des compétences métiers. On pourrait pourtant envisager de faire figurer des photos de collègues comme le font certaines bibliothèques à l’étranger (voir en particulier les Libguides des BU américaines), de situation de la bibliothèque pour la rendre vivante mais cela ne rencontre pas d’écho parmi les collègues.
Il s’agit aussi, selon Caroline Daviron, de dépoussiérer l’image des bibliothécaires, de personnaliser la bibliothèque, en même temps qu’on donne une visibilité aux actions organisées. Il est aussi essentiel d’apporter une valeur ajoutée (critiques de livres, rencontres d’auteurs retransmises…)
Pour Christophe Hugot, il est essentiel de diffuser l’information. Dans les universités, la masse d’information est pléthorique et il est difficile pour les universitaires de rendre leurs travaux visibles au-delà des murs de leur université. Or la demande du public est forte et les réseaux sociaux sont là pour que le grand public ait accès à ces contenus. Et de citer l’exemple d’un billet sur les cadrans solaires dans l’Antiquité, qui exposait le travail réalisé par un docteur venant d’achever sa thèse en archéologie. Il apportait une vraie valeur ajoutée et a obtenu de très bons retours des lecteurs.
Un exercice d’équilibriste
Louis Jaubertie est revenu sur la classification de Silvère Mercier, qui évoque une identité thématique, de service, de personne, d’institution. Gallica est un petit peu tout ça suivant les différents moments de la journée.
Louis Jaubertie a aussi évoqué la difficulté de trouver au quotidien des idées de contenus renouvelés avant d’aborder un point crucial, la question de la validation par la hiérarchie. La présence sur Twitter ne tolère pas la validation a priori des contenus, on doit se plier au rythme du web pour pouvoir y exister. De ce fait, il est primordial de définir une ligne éditoriale en amont, ainsi qu’un circuit de validation a posteriori, ce qui implique une forte responsabilisation des agents.
Et en territoriale ?
Pour Caroline Daviron, les effets de la RGPP se font sentir sur les services. Alors que la valorisation des ressources numériques fait partie prenante du travail des bibliothécaires, seules deux personnes gèrent le facebook pour les bibliothèques du réseau de Perpignan. Il faudrait une équipe plus conséquente afin de personnaliser réellement le compte. Cela part souvent d’une volonté individuelle, puis il faut convaincre les collègues pour avoir une équipe plus nombreuse, pour donner un ton un peu plus impertinent, humoristique. A Perpignan, une seule personne est en charge de la plupart des questions multimédias, donc il est difficile de lui rajouter la question des réseaux sociaux.
Louis Jaubertie a ajouté qu’il est nécessaire que ce soit une activité collective pour répartir la charge de travail et pour donner plus d’idées, plus de créativité, ainsi qu’un meilleur ton.
Institutionnaliser ces nouvelles compétences
Christophe Hugot a un profil d’ingénieur d’études, chargé de ressources documentaires. Sa mission principale est de développer, d’organiser et de mettre en œuvre les opérations liées à l’acquisition, au traitement et à l’exploitation de l’information scientifique et technique. Cependant, cette mission « classique » évolue vers plus de médiation scientifique qui tend à évoluer vers la communication. Il mentionne désormais le blog et twitter dans les rapports d’activité de la BSA.
A la BnF, inscrire ces activités sur les fiches de poste ne coulait pas de source à l’origine mais ces compétences y figurent désormais pour l’ensemble de l’équipe. A noter que, pour l’heure, seules des catégories A twittent, alors que rien n’empêche que ça change…
Caroline Daviron a expliqué qu’en territoriale, chacun affine sa fiche de poste selon le cadre d’emploi. Ces tâches ne figurent pas encore dans la plupart des fiches de poste alors qu’elles sont devenues incontournables.
Et la résistance au changement ?
Sciences Po a une image dynamique mais, au sein du personnel de la bibliothèque, beaucoup sont là depuis longtemps et ont des pratiques anciennes, d’où une certaine difficulté à faire évoluer la conception de la bibliothèque. C’est un vaste chantier qui est en cours ! Pour beaucoup, les réseaux sociaux sont effectivement une nouveauté. La responsable de la communication a initié le projet, quelques collègues ont suivi et le directeur est favorable mais il peut subsister certaines tensions face à ce changement, d’où l’importance de présenter des expériences multiples et de faire de la pédagogie par l’exemple.
Caroline Daviron n’a pas nié qu’il y avait une énorme résistance face à ces questions, qui n’est pas forcément générationnelle, mais elle repose souvent sur une poignée de personnes. Mettre en place de nouveaux services nécessite de fait beaucoup de volonté et de diplomatie. Un intervenant extérieur (un consultant ?! brrr !) peut être utile pour impulser un changement.
A la BnF, chaque nouveau membre est préalablement formé puis ses droits sur les comptes sont ouverts. Il peut être intéressant, a ajouté Louis Jaubertie, de faire bénéficier les agents de formations extérieures. BiblioQuest, organisé par l’INET de Nancy, est une excellente formation sur ces questions, destinée aux agents de la FPT.
Le principal défi est de sensibiliser la hiérarchie en évoquant la place des réseaux sociaux dans la stratégie globale de l’établissement.
La résistance au changement ne concerne pas que les réseaux sociaux, a ajouté l’un des intervenants. Elle apparaît à la mise en place de tout nouveau service ou nouvelle tâche. C’est du management : si quelques personnes sont motivées pour démarrer un projet, il y aura un effet d’entraînement.
Christophe Hugot a évoqué la grande difficulté qu’on a aussi à « hameçonner » les chercheurs, pour leur faire comprendre l’importance de présenter leurs ouvrages et leur recherche sur le blog tandis que ses collègues du SCD se prêtent plus facilement au jeu
Quid de la pérennité de ces services qui reposent souvent sur une poignée de personnes ?
Louis Jaubertie a rappelé que ces services doivent reposer sur une équipe. Les laisser à la charge d’un seul agent est périlleux pour que le service s’inscrive sur la durée. Pourtant, ont regretté Caroline Daviron et Christophe Hugot, plus la structure est petite, plus il est difficile d’avoir un relai.
Le cas de la BSA est particulier, c’est une bibliothèque associée. Christophe Hugot plaide pour qu’elle soit intégrée au SCD, justement pour que les services mis en place se pérennisent et pour qu’ils puissent avoir des suppléants.
Il relève également que la nature de l’information donnée varie selon les agents. Lui est antiquisant, s’il est remplacé par un bibliothécaire non spécialisé sur l’Antiquité, l’information publiée ne sera plus du même ordre.
Pour conclure…
J’avoue qu’à la lumière de ce qui s’est dit et forte de l’expérience que j’ai pu avoir à Paris 4 en matière de coordination de blog et réseaux sociaux, j’aurais tendance à dire : expérimentez, testez, prenez le web comme un bac à sable. Il en ressortira des projets pertinents. Et, surtout, faites confiance à vos agents en leur laissant les clés des comptes sur les réseaux, vous aurez de belles surprises.
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Hashtag : #bibsurleweb
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Personnellement, je préfère les bibliothèques physiques. J’ai beaucoup de livres électroniques ici, mais je ne les ai même pas lu. Je n’ai pas encore capté le réflexe d’utiliser l’informatique pour tout ce que je fais.