Marie-Madeleine Géroudet distingue « deux acceptions de la veille en bibliothèque : la veille thématique, qui consiste à suivre l’évolution d’une discipline à des fins de construction de collection et de médiation, et la veille métier, qui se centre à l’inverse sur l’ensemble des problématiques professionnelles liées aux bibliothèques. » La première est « menée en vue des acquisitions et des actions de médiation documentaire » tandis que la veille métier, qui est l’objet du mémoire, recouvre un champ très vaste « qui englobe dans l’esprit des professionnels l’ensemble des autres applications de la veille en bibliothèque. »
Marie-Madeleine Géroudet part du constat que le professionnel des bibliothèques est surchargé d’informations, qui émanent de sources nombreuses : «
revues et journées d’études, biblio-blogs et espaces de rencontre informels, les professionnels de bibliothèque disposent d’un nombre important de lieux d’échanges, ce qui leur permet de forger un dialogue continu et d’être au contact d’une multitude d’informations. » En lisant ces lignes, on se dit que la formation à la veille devrait décidément être indispensable, pour apprendre à rationaliser le peu de temps que l’on a à accorder à toutes ces sources d’informations.
La veille, explique l’auteur en se basant sur l’enquête qu’elle a réalisé, est encore une activité d' »interstice » pratiquée individuellement, voire anonymement. Elle est trop souvent encore frappée d’illégitimité :
« À cet égard, un conservateur en BU raconte une anecdote signifiante. Alors qu’il utilise des informations de veille pour défendre un projet, un membre de l’équipe de direction lui répond par une question : « tu as le temps de faire de la veille, toi ? » Cette réaction, qui tend à présenter la veille comme un luxe que tout le monde ne pourrait pas se permettre, témoigne pour ce conservateur d’un problème dans l’organisation des encadrants : en prenant une place trop importante dans leur quotidien, les tâches opérationnelles empêchent les cadres de prendre un recul pourtant primordial dans leurs fonctions. Nous pouvons cependant proposer une autre interprétation à cette anecdote : lorsque l’on se déclare surpris, dans le cadre d’une réunion de direction, par le temps que des collègues accordent à leur veille, on laisse finalement entendre que ceux-ci ne doivent pas être surchargés de travail : ce-faisant, en partant du principe que la charge de travail entre dans les critères de légitimation professionnelle, on délégitime le porteur de l’information et le résultat de sa veille. Poser la question du temps de la veille nous conduit ainsi à l’enjeu plus délicat de la légitimité des pratiques individuelles en bibliothèque. »
Le «
soupçon d’illégitimité » est revenu dans beaucoup de commentaires de l’enquête. En effet, le veilleur affirmé a encore souvent intérêt à être irréprochable dans les délais qu’on lui donne pour toutes ses autres tâches, pour n’être pas accusé de gaspiller son temps. Qu’importe si ses trouvailles rendent parfois service à tout le monde…
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Certains établissements institutionnalisent la veille. C’est le cas à la BPI qui a mis en place un veille mutualisée via diigo. Les collègues partagent à deux niveaux (via les tags, j’imagine) : leur service et l’ensemble de l’équipe. Les liens partagés avec l’équipe seront diffusés sur l’intranet.
En matière de fonctionnement d’une veille à l’échelle d’un établissement, Marie-Madeleine Géroudet reprend la distinction de Salima Kriaa-Medhaffer et Humbert Lesca, qui proposent un binôme d’animation :
« – le responsable de la veille stratégique : membre de l’équipe de direction et directement dépendant du responsable de l’établissement,
– le coordinateur de la veille stratégique : qui assure la fonction de catalyseur du processus de veille, de formation des contributeurs et de suivi de la fonction de veille. Il peut également assurer le support technique du dispositif s’il en a les compétences. »
Le porteur d’un projet de veille doit bien connaître ses collègues susceptibles de s’intéresser à l’environnement professionnel. Il doit savoir les convaincre que plus les contributeurs seront nombreux, plus le fruit de la veille sera varié et riche. S’il doit être un moteur pour la coordination, il doit aussi faire preuve de modestie et savoir s’effacer : « Comme le souligne Pierre Marige, les collègues sollicités doivent en effet sentir que leur participation peut être déterminante pour la réussite du projet : « Si je mets en place un projet de veille et que je diffuse 25 liens par jour, comment mes collègues pourraient-ils penser que leur contribution a un intérêt ? » ».
L’écueil à éviter dans le cadre d’une veille collaborative est de techniciser les publications : un clic / un partage conduit souvent à partager trop. Le fait de commenter les liens mis en avant est souvent un moyen d’éviter l’avalanche de liens :
« Un bon moyen de mesurer l’adéquation d’une information de veille à sa bibliothèque consiste à se lancer dans son interprétation. Or, cette étape est souvent négligée dans un processus de veille, dans la mesure où elle n’est servie par aucun outil technique et où elle réclame une intervention purement humaine. Ainsi que le souligne Christophe Robert : « Comme le fait remarquer Thomas Chaimbault, « le processus s’arrête souvent au niveau de la récolte et faiblit au niveau de l’analyse et de la diffusion ». La veille pure n’a pas d’intérêt en soi : rendre compte, capitaliser, conserver pour avoir accès à l’information au bon moment font pleinement partie du processus. »
Prendre part à un processus de veille peut être fait de manières diverses et parfois très simple : commencer par partager avec ses collègues ses acquis après une formation ou un stage, par exemple. Voilà une chose dont je ne comprends pas qu’elle ne soit pas déjà obligatoire ! Combien de personnes partent en stages, journées d’études, et ne daignent pas en rendre compte (j’ai-pas-le-temps !). Il me semble pourtant que c’est la base d’un métier qui se dit à la fois professionnel de l’information et passeur de connaissances…
Enfin, la valorisation de la veille doit être en quelque sorte ritualisée : les informations notables repérées devraient par exemple être diffusées en réunion de service. « Il convient également de souligner lorsqu’une information de veille a débouché sur un projet ou une décision. »
D’un point de vue pratique, l’enquête souligne «
le fait que 78% des professionnels qui diffusent leur veille utilisent le mail« . Et Marie-Madeleine Géroudet d’ajouter que, «
au quotidien, les messageries paraissent le meilleur moyen de toucher l’ensemble des agents d’une bibliothèque. La diffusion d’informations par ce biais se doit cependant de rester sélective, afin de ne pas engorger les messageries et de provoquer ainsi un effet de saturation. » La newsletter, semble-t-il, a encore de beaux jours devant elle.
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Pour conclure, je voudrais mentionner ces quelques lignes d’Elisabeth DOUCETT, qui est citée à deux reprises dans le mémoire :
« If librarians are not aware of, or are behind the curve in understanding and advantage of today’s trends, then we all run the risk of becoming irrelevant and unimportant to our society. »
« I block out an hour every Friday morning to sit down and go through my trend tracking. I try to hold that hour on my schedule, no matter what. »
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Quelques (re)découvertes !
DIRECTION DES BIBLIOTHEQUES ET DE L’INFORMATION SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE DE L’UNIVERSITE VERSAILLES- SAINT-QUENTIN. SERVICE VEILLE PROFESSIONNELLE. Bibliothèques universitaires.
http://veilleprobu.over-blog.com/